dimanche 16 décembre 2012

Encre de Chine.



...

   "C'est ainsi que l'on regarde les peintures de la tradition chinoise. Il ne convient pas de les accrocher aux murs une fois pour toutes, il faut les dérouler comme se déroule un chemin. On voit alors apparaître le temps. Dans le temps de les regarder se rejoint le temps de les concevoir et le temps de les avoir faites. Quand personne ne les regarde, il faut les laisser non pas ouvertes mais roulées, à l'abri des regards, à l'abri d'elles-mêmes. On ne les déroule que devant quelqu'un qui saura en apprécier le dévoilement. Elles ont été conçues ainsi, comme se conçoit le chemin."

   Il déroula aux pieds de Salagnon un grand paysage avec des gestes mesurés, guettant la survenue des sentiments sur le visage du jeune homme. Salagnon avait l'impression de lentement lever la tête. Des montagnes trop longues émergeaient des nuages, des bambous dressaient leurs tiges, des arbres laissaient aller leurs branches, d'où pendaient des racines aériennes d'orchidées, des eaux tombaient d'un plan à l'autre, un chemin étroit entre les rocs aigus grimpait dans la montagne, entre des pins tordus qui s'accrochaient tant qu'ils pouvaient, davantage enracinés dans les brumes que dans la roche.

   "Et vous n'utilisez que de l'encre, souffla Salagnon émerveillé.

 ...


 Extrait de "L'Art français de la guerre" d'Alexis Jenni - Gallimard - Prix Goncourt 2011.





Photos : dessinateur de rue, Pékin, derrière la Cité Interdite - 5 janvier 2008, début d'après midi


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire